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Signe de la totale improvisation du gouvernement quant à la prise en charge de la situation des mineurs lors de la destruction du bidonville de Calais (voir ici et ), la circulaire encadrant le dispositif destiné à les accueillir est publié le 1er novembre. L’expulsion a commencé le 24 octobre, et des mineurs ont été envoyés dans ce qui s’appelait d’abord CAOMIE (Centre d’Accueil et d’Orientation pour Mineurs Isolés Étrangers), CAOMI (le E de « étrangers » a disparu, comme pour cacher qu »il s’agit d’un dispositif hors du droit où ils et elles sont relégué-e-s parce qu’étranger-ère-s). Certains avaient aussi quitté ces centres et avaient disparu.

En parlant de disparus, la circulaire prévoit « un recensement des mineurs sera effectué à l’arrivée par le CAOMI ». Des mineur-e-s qui se seraient éclipsés pendant le trajet ne seraient donc pas comptabilisé-e-s, n’existeraient pas pour l’administration, ce qui est un peu léger dans une logique de protection.

Le texte, organisant un dispositif dérogatoire, précise que le droit commun, qui est le simple respect de la loi, est malvenu :

« L’isolement de la minorité et de l’isolement en vue de l’intégration dans le dispositif de droit commun de protection de l’enfance se mettra en place dès lors que l’option d’accueil par le Royaume-uni aura été définitivement écartée. Dans ces conditions, il n’est pas utile ou pertinent que le conseil départemental ou l’association désignée commence l’évaluation des mineurs dès leur arrivée. »

Il n’est donc pas opportun que le conseil départemental, qui est en charge de la protection de l’enfance, s’en mêle. Mais aussi (peut-être surtout, parce qu’il faudra voir ce qui à l’avenir va se tricoter au niveau juridique à l’avenir) la circulaire postule que tant que les mineur-e-s sont susceptibles d’être admis-es au Royaume-uni, il ne relèveraient pas du droit français. Une sorte de zone d’attente juridique, ces mineur-e-s seraient comme hors du territoire français tant qu’il n’est pas sûr qu’ils et elles y restent. Mais une zone d’attente ouverte, ça ne déplairait aux autorités ni françaises ni britanniques qu’il et elles disparaissent dans la nature.

Les mesures d’assistance éducative doivent être exceptionnelles et se dérouler dans le CAOMI :

« Par exception, une procédure d’assistance éducative peut ponctuellement être ouverte avant la réalisation de l’évaluation […] Le maintien dans le dispositif CAOMI doit néanmoins être privilégié dès lors qu’il ne met pas en danger le mineur concerné. Il n’est donc pas, nonobstant l’ouverture de la procédure d’assistance éducative, de rendre une ordonnance de placement provisoire. »

Les personnes mineures n’ayant pas la capacité juridique, elles doivent être représentées dans certaines situations par un administrateur ad hoc. Voici ce que la circulaire en dit :

« Les CAOMI proposent au mineur de l’accompagner dans les démarches administrative liées à son dossier et à son projet, pour faire valoir l’ensemble de ses droits. Le cas échéant ils sollicitent auprès du Procureur de la République territorialement compétent la désignation d’un administrateur ad hoc en application des articles L221-5 et L751-1 du CESEDA. »

Première phrase : les CAOMI en l’absence de mesure de protection (écartée par le points expliqués plus haut) n’ont juridiquement aucune capacité à représenter le mineur pour faire valoir ses droits.

« Le cas échéant » désignation d’un administrateur ad hoc selon les articles L221-5 et L751-1 du CESEDA.

L’article L751-1 c’est une erreur, il concerne les personnes ayant obtenu le statut de réfugié ou la protection subsidiaire en France. Ce pourrait être une confusion avec l’article 741-3, qui prévoit la nomination (obligatoire) d’un administrateur ad hoc pour représenter le mineur en cas de demande d’asile. Or c’est bien dans le cadre d’une demande d’asile que le regroupement familial des mineurs est organisé dans le cadre du règlement européen Dublin III. Les mineur-e-s demandent l’asile en France et sont réunies avec le ou les membres de leur famille au Royaume-uni. Ce sont ces mineur-e-s qui ont les meilleures chances, fondées en droit, d’accéder légalement en Grande-Bretagne.

Donc normalement tou-te-s les mineur-e-s ayant de la famille au Royaume-uni passent par la demande d’asile en France et la nomination d’un administrateur. Sauf que dans le flou de la procédure suivie par le Home Office il semble que celui-ci évalue les liens familiaux sans passer par la procédure d’asile. La différence, c’est pas d’enregistrement de la demande d’asile en France, qui pourrait justifier dans certaines circonstances un renvoi en France plutôt que vers le pays d’origine. D’ailleurs, la circulaire prévoit un simple « recensement » des mineur-e-s par les CAOMI, qui donc ne laissent aucune trace de leur présence en France sur laquelle s’appuyer pour faire valoir de quelconques droits.

Quant à l’article L-221-5, il concerne les mineurs en zone d’attente. Rien à voir avec la situation de ces personnes, sauf lapsus révélateur : les mineur-e-s en CAOMI sont hors droit français, comme hors du territoire, jusqu’à ce que le Home Office ait statué ou non sur leur admission sur le territoire britannique.

Enfin, pour maintenir ces mineur-e-s dans les limbes juridiques, c’est seulement après que le Home Office ait donné sa réponse, soit après plusieurs semaines ou mois, qu’il est envisagé qu’ils et elles puissent rejoindre d’autres membres de leur famille – et des familles ont effectivement été séparées lors de la destruction du bidonville de Calais. Notamment lorsque ce membre de la famille est « un adulte responsable identifié et localisé sur le territoire national si celui-ci dispose de l’autorité parentale ». Imaginez que vous avez des enfants et que hors de tout cadre légal ils soient séparés de vous et que l’administration prennent des décisions cruciales quant à leur avenir en vous mettant hors-circuit. C’est ce que prévoit cette circulaire.

En clair, les mineurs n’ayant pas en droit français les moyens de faire valoir eux-mêmes leurs droits, cette circulaire organise la mise à l’écart de tous les moyens prévus par la loi leur permettant de les faire valoir.

 

Vous pouvez télécharger la circulaire du 1er novembre ici.

 

ryan_johnson_pedestrian_sculpture-1Bryan Johnson : Piéton.