Déjà en 2015, des Calaisien-ne-s avaient diffusé un texte pour exprimer leur refus de la concentration des exilé-e-s à l’écart de la ville, sur le site de ce qui allait devenir le plus grand bidonville de France. Cette expression s’était faite en dehors des associations traditionnelles de soutien aux exilé-e-s, dont certaines s’étaient impliquées dans cette mise à l’écart, croyant que les personnes ne seraient pas expulsées de ce nouveau terrain.
En septembre dernier, alors que les autorités prennent pour prétexte le « ras-le-bol » de la population et la situation catastrophique dans laquelle la présence des exilé-e-s mettrait la ville pour justifier la destruction du bidonville dont elles suscité la création un an et demi plus tôt, c’est encore une initiative individuelle qui interpelle les médias pour l’image qu’ils donnent de la ville et de la situation, alors que la plupart des associations cherchent surtout à préserver les positions acquises dans la perspective de l’expulsion annoncée.
Aujourd’hui, alors que le bidonville est détruit et que la traque a de nouveau lieu dans la ville et sous nos yeux, un appel à la solidarité vis-à-vis de nos voisin-e-s de passage circule à l’initiative d’habitant-e-s de Calais.
Voici ces trois textes, en remontant dans le temps.
Décembre 2016 – cher-e-s-voisine-s-et-voisin-s.
« Cher(e)(s) voisine(s) et voisin(s)
J’habite tout comme vous dans cette ville en souffrance qu’est Calais, une des villes les plus pauvres du pays, victime d’un taux de chômage record qui se trouve au cœur de la problématique de l’immigration.
On nous a dit « Calais respire », Calais est belle, il y a des lumières, un marché, un Carrousel et Pluto veille sur une pyramide de cadeaux. On nous a aussi promis que Calais irait mieux, qu’elle serait moins pleine de misère.
Sauf que voilà, quand nous avons inspiré fort en ouvrant grands les yeux, nous avons senti qu’il faisait froid, nous avons vu des gens dormir dehors à côté de grandes maisons vides aux portes condamnées.
Nous avons besoin d’ouverture, de lieux d’échange, de lien social, des lieux pour dormir ; des espaces pour se poser un moment et échanger, se connaître mieux aussi, pour se soucier de notre bien-être et de celui des autres.
Mais le constat est alarmant : d’affreux grillages défigurent notre ville qui est devenue un bunker, la police est omniprésente et contrôle tous ceux d’entre nous qui ne sont pas assez blancs. La machine à répression déployée à Calais ne fait pas seulement disparaître des femmes et des hommes, elle décourage aussi le solidaire, celles et ceux qui voient, s’indignent et cherchent à changer les choses. Rien ne se crée, quand les forces de l’ordre sillonnent les rues et occupent tout l’espace public.
Je me sens prisonnière de la politique de la ville et du gouvernement. Et vous ?
Ressaisissons-nous et luttons contre cette volonté de nous étouffer, de nous faire taire.
Soyons bienveillant-e-s, soyons uni-e-s et c’est ainsi que nous pourrons agir et faire grandir notre ville.
Envie d’en discuter ?
Contact :simples.calaisiens@laposte.net »
Septembre 2016 – vous pouvez télécharger ce texte ici.
« Chers médias, Calais va bien merci…
Nous sommes de simples citoyennes et citoyens de Calais et nous voulons faire entendre une autre voix que celle de cette minorité d’habitants qui crie très fort à l’exaspération.
Nous vous remercions pour votre inquiétude mais Calais va bien, ou du moins pas aussi mal que ce que l’on voudrait vous faire croire.
Calais est une belle ville, bordée par une plage magnifique, avec des éléments d’architecture remarquables et de nombreux espaces culturels (musée, cité de la dentelle, le Channel…).
Mais aujourd’hui, notre ville n’est connue que pour sa population de migrants et la prétendue insécurité qu’elle entraîne.
Certes, depuis quelques années, un nombre croissant de personnes souhaitant se rendre en Angleterre se heurte à notre frontière naturelle, le détroit du Pas de Calais. Ils se retrouvent bloqués, parqués aujourd’hui dans ce qu’il est convenu d’appeler la « jungle », un bidonville créé par la mairie en périphérie de la ville.
Depuis quelques mois, une minorité d’habitants, pas tous calaisiens d’ailleurs, véhicule des propos alarmants en évoquant un taux de délinquance impressionnant, des agressions quotidiennes, des dégradations multiples… Bref, en regardant les journaux, on a l’impression d’être en zone de guerre. Il n’en est pourtant rien. Pas de bombes, pas de hordes de migrants dans nos maisons, pas plus de risques si on traverse la ville à pieds, même de nuit. Nous le savons, nous y vivons.
Ce qui est difficile à Calais, c’est cet impact médiatique tellement négatif. Les médias ne relayent qu’une voix, largement déformée par la haine et souvent, par le racisme. Les modérateurs sur les réseaux sociaux ne font pas le tri dans les propos racistes et calomnieux, pire relayent ces propos et leur donnent une visibilité exacerbée.
Loin de nier les problèmes bien réels de notre ville, nous en avons assez de devoir nous justifier auprès des gens qui vivent loin : non, nous ne risquons pas plus notre vie à Calais le soir qu’à Lille, Paris ou Toulouse.
Oui, le soir sur la rocade, il faut être très prudent. Les centaines de CRS qui remplissent nos hôtels depuis des mois (et qui, soit dit en passant, permettent à l’économie hôtelière d’être florissante) créent un climat de tensions et quelques migrants, désespérés par leur situation, semblent prendre tous les risques pour tenter de monter dans les camions. Oui, certains routiers ont, de fait, de grandes difficultés à assurer leurs livraisons.
Mais en dehors de ces problèmes bien concrets, non, l’ensemble des commerces ne souffre pas.
D’une part, nombre d’entre eux bénéficient de cette présence migratoire : les cafés, baraques à frites et autres restaurants ne désemplissent pas. Migrants et bénévoles viennent s’ajouter aux calaisiens habitués. Les commerces de bricolage, de sport (vélos, tentes…) et les hôtels se portent merveilleusement bien.
D’autre part, oui, certains commerces du centre-ville sont effectivement obligés de fermer, mais combien de centre-ville ont-ils perdu leurs commerces de proximité à cause de grandes surfaces commerciales ? Des réfugiés, on en voit très peu en ville, puisqu’ils sont invités à rejoindre la jungle, loin du centre-ville.
On peut relever que ce déclin progressif s’est amorcé avec l’ouverture d’une immense surface commerciale à l’extérieur de la ville, la cité Europe et l’ouverture de nouveaux espaces en périphérie. Les loyers prohibitifs du centre-ville y sont également pour quelque chose. S’agirait-il alors d’un problème de mairie ?
Ce qui est difficile à Calais, c’est le manque d’attractivité de notre ville.
Depuis le début de l’année 2016, on inonde des terrains protégés, on abat des arbres et on fait pousser des grillages. Ce n’est pas dans toutes les villes de France que l’on rase des espaces verts pour (soi-disant) avoir plus de visibilité…
Toutes les villes de France n’ont pas la chance d’avoir un mur de 4m qui enfermera bientôt ses citoyens dans leur propre ville. Faire de calais une forteresse n’est pas une solution. Il a été prouvé que les grillages et les barbelés n’empêchent pas les intrusions ! Alors à quoi servent-ils ? Pour rappel, les touristes ne sont venus à Berlin que pour voir le mur au sol, pas avant…
Alors oui, Calais est en difficulté, mais comme tant d’autres villes de notre région et de notre pays.
Le pouvoir d’achat des Français baisse, notre industrie dentellière n’est plus qu’un musée, il n’y a plus de compagnie maritime française dans notre port, le plus fréquenté de France…
Venez nous voir, venez discuter avec nous, venez découvrir notre ville et ses richesses, venez vous rendre compte de la bonne réputation des gens du Nord, car nous en faisons partie.
Nous sommes fiers d’être calaisiens. Malgré tout. »
Avril 2015 – vous pouvez télécharger ce texte ici.
« Nous, Calaisien-ne-s qui refusons d’être séparé-e-s
Depuis des années, certains passagers et certaines passagères qui vont au Royaume-uni sont bloqué-e-s à la frontière, et se retrouvent dans les rues de Calais.
Au fil des années, ils et elles font partie de notre vie et de notre ville. Certain-e-s ne font que passer à Calais, tandis que d’autres ont choisi de s’y installer.
Calaisien-ne-s de passage ou Calaisien-ne-s de longue date, nous nous croisons dans la ville, nous évitons parfois, nous rencontrons d’autres fois. Nos regards se sont croisés ou évités, nous avons échangé quelques mots ou de longs moments, nous avons pris place dans la mémoire des un-e-s des autres.
Aujourd’hui, les autorités veulent concentrer ceux et celles d’entre nous qu’elles appellent « migrant-e-s » ou « clandestin-e-s » dans un espace à l’écart de la ville, au-delà de la rocade autoroutière, dans un bidonville d’État jouxtant une plate-forme de services humanitaires minimaux.
Nous refusons cette logique de ségrégation. Calaisien-ne-s de passage, « migrant-e-s », « réfugié-e-s », « exilé-e-s » et Calaisien-ne-s de longue date doivent pouvoir vivre ensemble et partager la ville.
Nous sommes avec et soutenons les Calaisien-ne-s de passage qui veulent rester dans la ville et refusent d’être expulsé-e-s vers le bidonville d’État. Nous soutiendrons ceux et celles qui voudront revenir parmi nous dans la ville. »
