Malgré les températures glaciales, plus d’un millier d’exilés sont présents aux alentours de Calais sans solution d’hébergement pérenne. Deux initiatives mettent quelques dizaines de personnes à l’abri.

Dans la cour de la Maison du Doyenné, en face de l’Église Notre Dame, quatre adolescents tapent dans un ballon de foot malgré la neige qui a commencé à tomber. C’est la fin de l’après-midi et ce jour là il fait froid. Eux ne passeront pas la nuit dehors : ces jeunes exilés sont hébergés dans la halte de nuit ouverte par le diocèse de Calais et le Secours Catholique.

« On appelle cet endroit « la Crèche » car nous l’avons ouvert pour la première fois l’an dernier le jour de Noël, explique Philippe, aumônier de l’association. À l’époque, cela s’était organisé dans une église de Calais. Nous y avons mis à l’abri les plus fragiles jusqu’à la mi-mars, quand le premier confinement a été mis en place. » Entre-temps, l’église a été rachetée par la mairie, et la Crèche a rouvert ailleurs. Ce lieu de repos accueille une quinzaine de gens, il devrait rester ouvert jusqu’au 5 avril. 

« Cela démontre que des solutions sont envisageables sans bouleverser le paysage »

On se déchausse en entrant. Sur le mur de la cuisine s’étale la « Déclaration des Droits des personnes sans abri » et une immense carte du monde, derrière une grande table où s’accumulent des victuailles. Une pile de galettes des rois est prête a être tirée. Dans un coin, deux jeunes hommes disputent une partie d’échecs.

« Nous tenons à ce que cette structure reste familiale, précise Philippe. Même s’il nous arrive d’accueillir d’autres personnes en cas d’urgence. » La nuit précédente, un petit groupe ayant fait naufrage lors d’une tentative de traversée en bateau y a trouvé refuge.

« Tout se passe très bien et nous n’avons pas de problème avec le voisinage. Cela démontre que dans des villes comme Calais, des solutions sont envisageables sans bouleverser le paysage. Ce n’est pas avec ce type de petite structure qu’on va créer un appel d’air, et le nombre de gens hébergés ici est suffisamment réduit pour ne pas laisser de place aux passeurs. Il pourrait y avoir plusieurs lieux sur ce modèle. »

Les locaux sont ouverts en priorité aux mineurs isolés, ceux dont la minorité n’a pas été reconnue, et les personnes sortant de l’hôpital. On y croise aussi parfois des familles. Si le répit qu’ils offrent est précieux, il reste néanmoins fragile : la semaine dernière, une commission de sécurité mandatée par la mairie a exprimé son désir d’inspecter les lieux. Une préoccupation sécuritaire qui laisse songeur quand on sait que la seule alternative laissée aux exilés abrités là est de dormir à la rue, en plein milieu de l’hiver.

Mise en sécurité

Assis sur un lit de camp, un petit groupe de mineurs soudanais rient, penchés autour de l’écran d’un téléphone portable. M. a 16 ans, cela fait trois semaines qu’il habite ici. Avant cela, il a passé deux mois et demi sous le pont de la gare.

« Dehors il faisait très froid, dit-il. Je n’avais qu’un duvet pour me tenir chaud, et quelques morceaux de carton en guise de matelas. Comme nous essayons de traverser vers l’Angleterre la nuit, on rentre parfois à 1, 2 voire 3 heure du matin. La police elle vient nous réveiller vers 5 ou 6 heure et nous devons ramasser nos affaires et bouger nos tentes si nous le pouvons, cela ne laisse pas beaucoup de temps pour dormir. Ici je peux reprendre des forces. »

À quelques kilomètres de là, dans une rue tranquille, la maison Maria Skobtsova accueille elle des femmes et des familles. « Elle a été fondée en 2016 par le frère Johannes, sur le modèle des maison d’hospitalité du mouvement Catholic Worker à New York » explique Joëlle, qui y est bénévole depuis plusieurs années.

Sur le mur du salon, le Notre Père a été traduit en arabe et en anglais, au milieu des dessins d’enfants. Ici aussi, on met en avant la convivialité. « Cette maison, c’est leur maison, souligne Joëlle. Il y a des bénévoles qui passent, donnent parfois des cours de langues. Le soir, on mange ensemble. »

« On se sent en sécurité, indique une jeune femme. En tant que femme, dormir dans la jungle, c’est parfois compliqué. » « C’est bien mieux que d’être à la rue, renchérit un futur père de famille dont l’épouse enceinte est pratiquement à terme. « Ce serait extrêmement difficile pour elle de dormir dehors en ce moment. »  

Si le plan Grand Froid a été déclenché en début de semaine, il n’est pas prévu pour le moment qu’il soit étendu après lundi prochain. Malgré les 300 lits disponibles – uniquement la nuit – dans le cadre de ce dispositif, de nombreux exilés, dont des mineurs, dorment toujours dehors. Pendant ce temps, les expulsions continuent : les tentes, constituant pourtant un bien maigre rempart contre le froid et les intempéries, y sont confisquées et parfois détruites.

Photos : Julia Druelle