« Nous sommes traités comme des sous-personnes. En France, un étranger reste un étranger. Nous voulons juste un minimum de droits et de respect ».
Le 25/03/2021, a débuté un mouvement gréviste de contestation au Centre de Rétention Administrative[1] de Coquelles. Certains retenus dénoncent collectivement leurs conditions de rétention inhumaines, la banalisation des abus policiers, l’absence d’accès aux soins, leur détresse psychologique collective, l’enfermement de certains malgré l’impossibilité de leur éloignement.
Ils dénoncent la répression et les pressions immédiatement subies suite à ces contestations. Deux personnes ont été placées en Garde à vue en fin de semaine dernière et condamnées, le 29 mars 2021, à 6 et 4 mois de prison ferme.
Nous, retenus du Centre de rétention administrative de Coquelles, dénonçons :
- Nos conditions de vie dégradantes.
La nourriture servie au réfectoire est infecte : matin comme soir, c’est une omelette insipide. Le repas fini, nous avons très souvent encore faim. Le dîner est bien trop tôt, à 17 heures. Pourtant, il nous est interdit ensuite de faire entrer de la nourriture, même non-périssable, dans nos chambres. Toute la soirée et la nuit, nous avons faim. C’est pour cela que le 25 mars 2021, nous avons refusé de nous rendre au réfectoire. Presque personne n’est allé manger.
Nous sommes nombreux à ne pas avoir d’habits adaptés. Certains ont froid, certains n’ont pas de chaussures, de manteaux. Pour dormir, nous n’avons pas d’oreillers. Nous sommes nombreux à avoir des problèmes de peau.
Il n’y a aucune activité : pas de lecture, pas de sortie, pas de sport, pas de football… Les sortants de prison savent que même là-bas nous étions mieux traités.
- Notre détresse psychologique.
Nous sommes nombreux à être véritablement en détresse psychologique. Ces derniers jours, plusieurs retenus ont mis sciemment leur vie en danger, et ont dû subir un traitement médical ou chirurgical.
- Notre accès aux soins en permanence empêché.
Le personnel médical du CRA, fréquemment, ne remplit pas sa mission. Pour lui, nous sommes avant tout des retenus, qui mentent nécessairement, qui ne méritent pas d’être en bonne santé. En cas de malaise, de maladie, nous ne sommes pas pris au sérieux, le personnel médical est complice des policiers. Il est impossible d’accéder à un dentiste. Depuis une semaine l’un des retenus à une rage de dents, il souffre énormément, ne peut pas dormir : on l’empêche de voir un dentiste, ne lui donne que du doliprane… Souvent, on nous interdit de suivre notre traitement médical, même s’il est essentiel. [L’un des retenus, diabétique, raconte comment on l’empêche de prendre son traitement, et on ne le soigne pas, ne lui fait aucun test en cas de crise.]
- Les violences policières (verbales, physiques…).
Le racisme est banalisé chez la police du CRA. Beaucoup de policiers agissent comme des voyous, ils nous provoquent et nous insultent en permanence. Les « Ta gueule ! » ; « Je t’emmerde ! » ; « Rentre dans ton pays ! » sont habituels. Il y a quelques semaines, un retenu albanais était violemment expulsé, avec utilisation de gaz lacrymogène et plaquage ventral.
- Notre enfermement à tout prix, même si notre éloignement est impossible.
Beaucoup de retenus, notamment arabophones du Maghreb, sont enfermés pendant plusieurs mois alors qu’ils savent qu’il n’existe peu ou aucune perspective réelle d’éloignement vers leur pays d’origine. Des personnes algériennes sont enfermées, alors que la frontière est fermée aux éloignements de retenus depuis le début de la crise sanitaire. L’objectif de notre enfermement est détourné : le CRA devient une prison pour nous enfermer, nous punir, et plus pour nous expulser.
- La répression et les pressions subies suite à nos contestations.
Jeudi 25 mars 2020, deux personnes ont été placées en Garde à vue suite à notre mouvement de contestation, pour « outrage et rébellion ». L’une d’entre elles avait pas exemple refusé de sortir de sa chambre pour aller au réfectoire et permettre son ménage. Un policier, face à ce refus, avait tiré la couette du retenu en lui disant de sortir : le retenu s’était levé et l’avait insulté. Les deux retenus, qui sortaient de prison, ont été condamnés à 4 et 6 mois de prison ferme hier. Nous dénonçons une justice partiale, qui croit d’abord la parole des policiers.
Chacun d’entre nous a été menacé d’être placé en Garde à vue, ou d’être transféré vers un autre Centre de rétention administrative français. La majorité des policiers semblait enchantée par les condamnations d’avant-hier, les utilisent pour casser notre mouvement, nous intimider. Nous avons peur. Rien qu’en protestant pacifiquement, nous savons que nous mettons nos chances de sortie de cet endroit en danger.
- La répression justifiée par la crise sanitaire.
Ici, il est interdit de refuser un test PCR. Un tel refus justifie le prolongement de notre enfermement. Un retenu a refusé trois fois de subir ce test : il a été condamné immédiatement à 4 mois de prison ferme pour obstruction à son éloignement. Jamais un Français n’aurait été traité comme tel, n’aurait été condamné, enfermé en prison pour avoir refusé une manipulation médicale. Depuis des mois, le CRA reste ouvert malgré la crise. Il est arrivé que de très nombreux retenus attrapent le Covid-19, sans qu’ils soient libérés.
- L’enfermement des sortants de prison.
Nous sommes nombreux à avoir été enfermés au CRA à notre sortie de prison. C’est une double peine : notre situation est devenue irrégulière ici à cause de notre enfermement en prison, où il est impossible d’actualiser nos titres de séjours. Pour certains, nous avons des familles ici, des femmes et/ou enfants français. Pour la plupart d’entre nous, il n’existe pas de perspective d’éloignement. Si on fait une erreur, en tant qu’étranger, on n’a pas le droit de tente de se réinsérer dans la société.
[1] Centre de rétention administrative : lieu dans lequel l’administration enferme les personnes interpellées en situation irrégulière, dans le but de les renvoyer dans un autre pays (souvent leur pays d’origine).