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Une atmosphère étrange dans le bidonville pour la dernière soirée avant le début de l’expulsion, comme une ambiance de fête, avec de la musique et des rires, mais dont on sent qu’ils cachent l’émotion, qui remonte sur certains visages jusqu’au bord des larmes. On veille, comme à la veille de quelque chose. Les tentatives de passage se feront plus tard dans la nuit. On hésite, on se ravise, on décide, que faire. Des gens sont sur la butte face à la rocade et à la police, qui a commencé tôt à bombarder le bidonville à la grenade lacrymogène pour cette dernière soirée.

Un arrêté a été affiché à l’entrée du bidonville qui institue une « zone de protection » dans laquelle l’entrée se fera sur accréditation. Toute personnes ne respectant pas ces dispositions est passible au nom de l’état d’urgence de 6 mois d’emprisonnement et 7500 € d’amende.

Vous pouvez télécharger l’arrêté ici.

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Redonnons la parole à l’association Polyvalence, qui avait déjà été l’un des témoins de la destruction de la partie sud du bidonville en mars.

https://www.facebook.com/assopolyvalence/


« Calais Jungle en direct – par M.

18h00 :
beaucoup de journaliste, beaucoup de CRS. Le camp est bouclé ce soir à minuit. Les bulldozers sont commandés pour mardi. Sur le trajet, des dizaines de camions de CRS. Dans le camp, les commerces bradent les prix : « one euro ! one euro ! Jungle fini ! »

18h15 :
j’arrive chez Sami, il est content de me revoir. Les soutiens présents me reconnaissent aussi « Oh, Polyvalence ! ». C’est le dernier jour de la Jungle. Demain, le démantèlement commence.

19h00 :
les journalistes sont devant l’arrêté préfectoral. Avec des CRS. Tout le monde prend des photos. Bon, moi aussi. L’arrêté est posté.

 

19h30 :
coups de feu (départs de lacrymo ?) sur la bande des 100 mètres.

20h00 :
Tirs de la police depuis l’extérieur vers l’intérieur du camp.

 

 

20h30 :
Les CRS sont postés sur la bande des 100 mètres. Certains exilés, depuis les dunes de la Jungle, leur jettent des pierres. Les CRS répondent en envoyant les lacrymos qui entrent dans l’allée principale et étouffent les personnes qui mangent, qui marchent…
Certains afghan (?) sont en colère (…) et sont armés. Il volent les téléphones des indépendants. Moi, je les regarde. On se regarde. J’ai une gueule d’Afghan ou de Kurde. En tout cas, personne ne m’a pris mon téléphone. Dès que j’ai quitté la bande des 100 mètres pour aller charger mon tel chez mon pote dans la Jungle, j’ai vu les mecs essayer de revendre les téléphones volés.
À la guerre comme à la guerre…

Les journalistes qui n’ont jamais mis un pied dans la Jungle et qui sont là pour le buzz poussent les personnes qui ont soutenu le camp depuis des mois. Les CRS nous regardent, je dis « oui bonjour, ça va ? » Il y en a un qui me répond qu’on est plein, que ça sert à rien. Je lui dis qu’il ne faut pas tout mélanger, qu’on n’est pas là pour faire un travail de témoignage, par pour passer à la télé. Il me dit « pff, ça sert à rien ». Et puis ensuite, plus rien..

 

21h00 :
Les exilés sont en colère et jettent des pierres sur les journalistes.

22h30 :
je voulais aller charger mon téléphone au resto de Sami.
Sami, je l’ai rencontré il y a plusieurs mois, pour recueillir son témoignage.

C’était fermé, j’ai frappé, il m’a reconnu et ouvert. Il m’a « dit j’ai bloqué les portes, c’est trop le bordel dehors » et m’a offert un thé.

J’étais avec cinq Afghan. On a discuté de leurs « projets ».
Ils ont dit « Fuck England », on se casse, on prend pas les bus.
On va chercher des endroits en France.

Ils ont sorti une carte et m’ont demandé de leur montrer des endroits où aller.

J’ai dit, au Nord, il fait froid et y a des fachos. Au Sud aussi, mais il fait plus beau. Y a des villes cool, Rennes, Lyon. Et les petites agglos comme Nantes.
Ils m’ont demandé de leur faire un résumé du marché du travail.
Je leur ai expliqué les lois.

Après on s’est marré un peu, ils m’ont demandé comment draguer les meufs et m’ont montré des pornos.
Je leur ai dit que je dormais chez Moussa, mon pote soudanais.
Ils m’ont dit ah ouais, il est cool, on le connaît.
Y a des meufs ? J’ai dit bof, va y avoir cinq grands mecs, vous serez bien reçus… mais allez, si je trouve une teuf et des meufs, je reviens vous chercher.

Sami m’a ouvert la porte de derrière, j’ai discuté un peu avec lui, il a dit « je vais prendre le bus, moi, j’irai dans leur CAO et je verrai bien… ».

Minuit :
je suis chez Moussa avec d’autres soudanais. Ils parlent arabe, Moussa traduit. Ils me demandent ce qui va se passer. Les bus, les CAO. Ils n’ont pas vraiment été informés. Moi, je suis pas le mieux placé mais j’essaye de leur expliquer. On va se coucher. J’ai froid.
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