La visite du ministre la veille ou le jour de Noël est une figure d’ordinaire réservée aux armées en opération extérieure, en Afghanistan ou au Mali, par exemple. Le ministre de l’intérieur a choisi de reprendre cette figure guerrière ce 24 décembre à Calais.
La situation supporte bien l’image guerrière, avec cette frontière qu’il faut défendre à tout prix, ces barrières couronnées de barbelés, modèle lames de rasoir, conçus pour infliger des blessures plus larges et plus profondes. Ces moyens répressifs sans cesse renforcés. Cette propagande de guerre qui décrit les exilés comme une masse dangereuse et sauvage. Une guerre de basse intensité, certes, mais où les armes sont d’un seul côté, et qui tue, d’un seul côté aussi, l’autre côté. Où l’on fait des prisonniers, qu’on envoie en rétention aux quatre coins du pays, en tentant de les terroriser par un ordre de déportation vers le pays qu’ils ont fuit.
Comme dans la propagande de guerre, le discours des autorités tente de faire disparaître la violence, les vies et les morts, derrière les nombres : nombre d’interpellations, nombre d’expulsions, nombre de « filières démantelées ». Sans dire que les expulsions se font surtout vers la Belgique et l’Italie, et que les personnes sont de retour dans les jours suivants, sans dire que l’arrestation d’un groupe de présumés passeurs amène leur remplacement dès la nuit suivante.
Comme dans la propagande de guerre, l’État tente de mettre en avant son action humanitaire, ici asile, accueil de jour, plan grand froid.
Asile : un effort réel a été fait sur les propositions d’hébergement, aucun effort n’a été fait pour l’accompagnement des personnes. Compléter son dossier de demande d’asile et faire son récit de vie en français, préparer son entretien avec l’OFPRA, ouvrir ses droits à l’assurance maladie, ouvrir un compte en banque pour recevoir l’Allocation temporaire d’attente, faire un éventuel recours en cas de réponse négative. Les associations voient des personnes laissées à elles-mêmes aux quatre coins de la France n’ayant pas les moyens financiers de faire des allers-retours vers Calais pour y recevoir le soutien dont elles ont besoin, manquant des rendez-vous importants. En attendant de les revoir dans quelques mois déboutées de leur demande, et tentant l’Angleterre parce que dans l’impasse.
Accueil de jour : l’ouverture promise pour octobre, puis pour janvier, l’est maintenant pour mars. Le ministre s’aperçoit en effet officiellement qu’il y a des travaux à faire, qui engendrent des « délais incompressibles », après trois mois d’immobilisme.
Plan grand froid : un grand hangar loué 7 500 € par mois, qui aura nécessité 20 000 € d’investissement pour qu’une petite partie puisse accueillir dans des conditions minimales quelques quatre cents personnes, pour un objectif affiché de 1 000 à 1 500. Pas d’eau des toilettes chimiques louées. Un lieu ouvert la nuit, qui ferme au matin pour rouvrir le soir, laissant les personnes à la rue pendant la journée. Et une association, Solid’R, gestionnaire d’une situation impossible, qui va à la rencontre des exilés, et fait de son mieux pour faire de ce lieu impropre un lieu d’accueil.
D’autres associations font de leur mieux pour rendre les conditions de vie moins invivables dans les bidonvilles et les squats, dans l’attente d’une destruction annoncée.
L’enlisement de l’action répressive n’est pas moindre. Avec la mauvaise saison, moins d’exilés vont traverser la Méditerranée. Mais peut-être que d’autres, qui auront trouvé des petits boulots dans l’agriculture en Italie vont remonter vers le Royaume-uni l’hiver venu. Les autorités n’ont pratiquement pas de prise sur le nombre d’exilés aux approches de la frontière britannique.
Mais la venue du ministre à Calais a aussi pour effet de rétrécir le champ de vision. Se retrouve hors-champ le fait que se dispersent depuis plusieurs mois beaucoup plus sur le littoral, jusqu’à Ouistreham et Saint-Malo, et en amont près des parkings autoroutier, s’installant là où leur présence n’était que sporadique. Hors-champ aussi que les mesures hivernales prises les années précédentes pour les campements de l’intérieur des terres n’ont pas été reconduites cet hiver, aggravant la situation des exilés qui s’y trouvent.
Manifestation du 18 décembre 2014.