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À la suite de la manifestation de samedi dernier, une cinquantaine d’exilés suivis par quelques soutiens sont entrés dans le port et sont monté sur un ferry à quai. Huit personnes, six exilés et deux soutiens, sont poursuivies et passent en comparution immédiate demain lundi, tandis que trois militantes ont été placées en rétention pour être expulsées vers l’Italie.

Un appel à un rassemblement de soutien devant le tribunal de Boulogne/Mer à 13h30 a été lancé.

Rappel des faits : à la fin de la manifestation de samedi, un groupe d’exilés s’assemble à un bout de la place, discute, puis se dirige vers le vieux port. Ils passent le cordon de police et se mettent à courir. Effet de surprise, ils arrivent jusqu’aux grilles du port ferry, et une cinquantaine d’entre eux réussissent à entrer, suivis par quelques militants, tandis que les autres sont repoussés vers le bidonville. Les personnes entrées dans le port montent sur un ferry à quai, dont elles évacuées dans la soirée.

Jusque-là il s’agit d’un geste spectaculaire de la part de personnes qui demandent à pouvoir reconstruire leur vie de l’autre côté de la Manche, au Royaume-uni. C’est dimanche que tout s’emballe.

Le ministère de l’intérieur publie un communiqué titré « Détermination totale du gouvernement à assurer l’ordre public à Calais ». Deux mois après les attentats meurtriers du 13 novembre, la principale menace pour la sécurité des Français-es serait une cinquantaine de personnes montées sur un bateau à quai. Incapable de garder le sens de la mesure, le ministre annonce même qu’il va saisir les instances européennes.

http://www.interieur.gouv.fr/Actualites/Communiques/Determination-totale-du-Gouvernement-a-assurer-l-ordre-public-a-Calais

Plus tard dans la journée, le procureur de Boulogne/Mer et la préfète du Pas-de-Calais tiennent une conférence de presse conjointe sur le sujet. Alors que la ministre de la justice a mis fin aux instructions individuelles aux procureurs, symbole de la dépendance de la justice par rapport au gouvernement, le procureur semble passé sous l’autorité du ministre de l’intérieur. De même que l’arrivée en Europe d’un nombre de réfugié-e-s plus important que d’habitude ébranle l’un des piliers de la construction européenne, les accords de Schengen, une cinquantaine de personnes montées sur un bateau font s’évanouir un des piliers de la démocratie, la séparation des pouvoirs, en l’occurrence l’indépendance de la justice par rapport à l’exécutif.

http://france3-regions.francetvinfo.fr/nord-pas-de-calais/migrants-sur-un-ferry-calais-8-personnes-jugees-en-comparution-immediate-lundi-912039.html

Au pays d’Ubu, tout est possible.

 

Pour revenir les pieds sur terre, voici le témoignage d’un des participants à la manifestation de samedi :

« Mercredi 6 janvier : une manifestation est appelée à Calais par des organisations militantes parisiennes (dont : droits devant!!, solidaires Paris 5-13, UNSP, etc.)

Samedi 9 janvier : on apprend que les policiers envoient régulièrement des gaz lacrymogènes sur le camp de réfugiés de Calais la nuit.

Dimanche 10 janvier : on voit des civils, au côté de la police, lancer des pierres sur les migrants.

Mercredi 20 janvier : je vais à la permanence de droits devant!! acheter ma place de car. J’y retrouve une camarade de la lutte des sans-papiers qui me présente leurs actions : conseil en droit des étrangers, occupations d’institutions nuisibles, manifestations, permanence d’urgence (pour faire sortir les membres sans-papiers de garde à vue). On reste en contact .

Vendredi 22 janvier : je passe l’après-midi à faire à manger pour demain (merci maman pour ton excellente recette de tarte thon-tomate) et une pancarte, avec fil de fer, carton, papier et feutre. Pile : « Calais, Mayotte, Lesbos, Melilla, Lampedusa : nos frontières tuent » / Face : blanc, pour laisser d’autres écrire demain ce qu’ils ont envie.

Samedi 23 janvier :
8h : j’ai pris un petit-dej, ma pancarte, à manger et le métro. Je suis chargé et en retard.
8h35 : je trouve 4 militants, dont 2 demandeurs d’asile, qui attendent le bus et prennent ma pancarte en photo. Un peu plus loin, un groupe beaucoup plus important : j’apprends que finalement 5 ou 6 cars partent de Paris (50 personnes par car), dont 2 réservés hier et
avant-hier. Ma pancarte attire les objectifs. Je retrouve des copains de la Cimade et d’ailleurs.
9h15 : on monte dans le bus, on part à 9h40.
10h : On discute et on roule. un camarade réfugié d’Allemagne invite tout le monde à une conférence européenne de migrants à Hambourg du 26 au 28 février : « arrêtez la guerre contre les migrant.e.s » et distribue un tract (www.refugeeconference.net).
11h45 : pause d’un quart d’heure sur l’autoroute. Je discute avec N, mon voisin de bus, et K, militante parisienne rencontrée là, de ce qu’est la politique et de pourquoi, chacun, nous allons à Calais. En remontant, on nous informe qu’il est interdit de manger dans le bus, ce qui n’empêche pas les abricots secs de circuler généreusement.
13h20 : on arrive. La voie d’accès est verrouillée par les flics, le car continue sur la rocade. On se retrouve au port, le chauffeur est un peu paumé. Un militant indique que c’est souvent bloqué, là, il
indique un autre chemin.
13h35 : On arrive. Pas mal de gens sont déjà là, des anglais, des exilés de la jungle. Je me mêle aux exilés, l’un d’eux me demande ce que dit ma pancarte. Je luis explique, il veut écrire un message en anglais : on écrit « our life, no jungle », leur ras-le-bol de la vie dans ces conditions. Il part avec la pancarte alors que la manifestation s’ébroue. Je tente de sortir un peu de nourriture de mon sac, quand je suis alpagué par une journaliste AFP qui me demande pourquoi je suis là. Je réponds rapidement, et je sors mes radis et mes carottes. Je partage en marchant avec quelques afghans : des hommes seuls (30 à 40 ans, vieillis par la galère), un père et son fils malade (il bave, je n’arrive pas à savoir si c’est physiologique ou psychologique) et leur « président ». Ma boîte de partage permet de voir pas mal de monde. La manif est rapide, dynamique. On est au moins 3000, emmenés par une fanfare, les « 1ere, 2eme, 3eme génération, on est tous des enfants d’immigrés » de droits devant!!, les « de l’air! De l’air! Ouvrez les frontières » du NPA, les « Les expulsions, y’en a
marre! Le gouvernement, y’en a marre » du collectif des sans-papiers 75 et les « no jungle, no jungle » des exilés.
Sur ce dernier slogan, mon voisin soudanais répond en souriant « go jungle, go jungle ». Je lui demande pourquoi, il me répond que c’est ce que les flics leur disent quand ils les trouvent en-dehors de la jungle. Lui-même s’est pris un violent coup de pied aux fesses (il a dû être soigné) il y a 4 jours, quand un flic l’a trouvé hors de la jungle. « J’avais levé les mains », me dit-il, mais « il s’est approché et m’a donné ce coup ». Plusieurs me confirment qu’il ne vaut mieux pas tomber seul entre les mains de la police, si on veut éviter la ratonnade. Ce n’est pas le seul témoignage de violences policières que j’entends aujourd’hui. Un syrien serait mort il y a quelques jours, disent-ils. « France no good, France no good. They treat us as if we were not human ». La jungle, rassemblement de tous les camps et squats calaisiens existant auparavant, est une sorte de prison pour les exilés.

La manif avance bien : les contacts entre les soutiens et les exilés sont faciles. De temps en temps, je retombe sur le père et son fils ou des camarades avec qui je suis venu de Paris. Ma pancarte, leur pancarte, se retrouve à l’avant de la manifestation. Pas mal de gens ont des pancartes faites à la main et la plupart des banderoles sont en tissu. Beaucoup d’énergie se dégage de tout ce mouvement, divers dans ses composantes, malgré semble-t-il des fachos rageux qui essaient d’embêter la fin du cortège.

16h: on arrive sur la place d’armes, au centre de Calais. Des prises de paroles ont lieu, je partage mon goûter avec les camarades migrants qui ont porté la pancarte sur le cortège et la portent encore. Je le partage aussi avec des exilés qui semblent épuisés, pas loin de défaillir. Des représentants d’assos prennent la parole, les flics verrouillent la place et la fanfare joue dans un coin de la place.
Plusieurs fois, des migrants prennent le mégaphone et déclenchent des mouvements de foule parmi les exilés, orientés vers l’entrée de la place. Je demande au porteur de pancarte ce qui se passe, il me répond « now, we go to the ship ». Les flics se positionnent, j’ai un peu de mal à y croire.

À 16h45, ce mouvement a assez d’énergie pour contraindre la police à s’écarter et à laisser la voie libre : la manifestation menée par les exilés prend son envol. J’essaie de suivre ma pancarte. La manif, sans slogans, sans banderoles et avec uniquement la pancarte « our life, no jungle » mais rapide, enlevée, bifurque vers le port : des gens se mettent à courir. Mes camarades parisiens n’ont pas tous suivi, loin de là, et je vois des gens du NPA hésiter à aller plus loin : cette partie-là est celle des exilés, pas nécessairement celle des militants. J’avance un peu et, au détour d’un bâtiment, je tombe sur un grillage, cisaillé, proprement ouvert sur 2m de haut. Une porte ouverte sur le port, sur l’Angleterre, la réalisation du slogan « Ouvrez les frontières », commun aux militants et aux migrants. Plus de 1 000 personnes sont déjà passées : je vois ma pancarte au loin. Je reste de ce côté-ci de la frontière, n’ayant pas l’objectif de visiter Douvres cette nuit. Tant pis pour le manche à balais. Des flics arrivent en voiture, pour essayer de comprendre, et repartent aussitôt : ils ne peuvent pas passer de ce côté. On essaie de voir ce qu’il se passe, mais les bateaux sont encore loin. On voit les fourgonnettes de CRS s’activer, preuve qu’ils sont en retard sur les exilés, mais preuve aussi qu’il reste peu de temps pour embarquer.

Je retourne à la place d’armes avec des militants parisiens qui s’inquiètent des cars parisiens : vont-ils attendre les militants probablement bloqués sur le port ? On monte, on s’identifie, on se compte et se recompte, on essaie de savoir ce qu’il se passe. Les flics ont fait 2 nasses, escortant les migrants et quelques soutiens vers la jungle avec l’une, bloquant les gens dans l’autre. L’escorte vers la jungle confirme que celle-ci fonctionne comme une prison pour les migrants. Les chauffeurs
commencent à s’énerver, la pression étant mise sur eux par les flics qui menacent d’amendes si les cars restent trop longtemps. 2 cars sont déjà partis, plein, semblent-ils. Les flics relâchent nos camarades au compte-gouttes, ce qui énerve tout le monde.
J’embarque dans un car qui doit partir avant les autres (chauffeur seul, au lieu de 2 sinon) et donc doit être plein. Des afghans sont prioritaires, aussi : ceux qui sont dans les foyers franciliens et risquent de perdre leur place s’ils ne pointent pas assez tôt ce soir.

On part à 18h30.

À 19h, j’apprends par SMS qu’au moins un car est encore sur place, attendant les militants placés en garde à vue. Il part à 19h30, pas tout à fait plein. Plusieurs personnes sont encore retenues (pour « vérification d’identité »). On apprendra par les médias qu’une cinquantaine de migrants a occupé le pont d’un ferry. J’espère que des dizaines d’autres ont réussi à se cacher et passer par divers moyens vers l’Angleterre.
Sur le chemin du retour, on discute des rumeurs d’un militant à terre et on regrette un tag malheureux (comme dit mon voisin : « ceux qui subiront les conséquences de ce tag n’ont pas besoin de ça »). La manifestation de samedi prochain, contre l’état d’urgence, est rappelée. »

 

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