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Calais, Exilés, harcèlement policier, politiques migratoires, ségrégation
Le 10 mai 2014, Calais Migrant Solidarity met en ligne une vidéo qui fait le buzz. On y voit des policiers sortir violemment des exilés d’un camion, les frapper et les jeter par-dessus la rambarde l’autoroute. Ce n’est ni la première ni la dernière fois que les militants témoignent ainsi des violences policières.
Au cours de l’été 2014, un policier, délégué syndical de Unité SGP Police Force Ouvrière, met à son tour en ligne des groupes d’exilé-e-s, notamment lors de tentatives de passage dans le port, avec un commentaire en voix off qui dit ce qu’il faut voir. Au cop-watching succède le migrant-watching.
La différence est que le cop-watching est l’activité de citoyen-ne-s qui surveillent l’activité d’un service public dans un contexte où celui-ci risque de dysfonctionner, et notamment lorsqu’il y a des abus, des violences ou des violations de la loi commis par les agents qui sont censés empêcher les abus et les violences et assurer le respect de la loi. Et que la police, si elle assiste à des actes délictueux est censée intervenir, c’est son rôle, elle n’a pas besoin de mettre des vidéos sur internet, sauf à considérer qu’elle est une bande en confrontation avec une bande rivale à laquelle elle réplique ainsi.
La mise en ligne de ces vidéos s’est accompagnée de contacts fréquents avec les médias. Un travail a ainsi été fait pour un retournement d’image, les exilé-e-s n’étant plus montré-e-s dans le dénuement des campements, sur un mode compassionnel, mais dans la dynamique du passage et des actions de groupe, avec un discours développant l’imaginaire de l’assaut, de l’attaque, de l’invasion, légitimant une action de type militaire, au besoin violente, pour y faire face.
Le relais de cette production d’images et de la mise en ligne de vidéos a été pris par les groupes d’extrême-droites qui se sont constitués autour de pages facebook comme Calaisiens en colère ou Calais libre, lorsqu’ils ont commencé à faire des vigiles au côté de la police aux alentours du bidonville et à patrouiller sur l’autoroute et la rocade portuaire.
Le 13 octobre 2014, le syndicat Unité SGP Police Force Ouvrière organise une manifestation anti-migrants, avec des commerçants, des agriculteurs, des tenanciers de bar, des chasseurs, appelant la population à se mobiliser. On peut lire dans le tract d’appel que « les migrants continueront inexorablement à s’amasser aux portes de l’eldorado britannique » ou « le flux continuel de migrants entraine l’économie locale dans une crise sans précédent et les entreprises sont menacées. »
Cette manifestation a été un moment important, dont l’onde de choc s’est propagée à plusieurs niveau. Elle a été suivi d’une focalisation médiatique sur le « ras-le-bol des Calaisien-ne-s », avec des éléments de langage récurrents sur le nombre de « migrants » devenu trop grand, et le fait « qu’ils aient changé », « avant ils étaient polis, maintenant ils sont agressifs ».
À l’automne 2014, les autorités municipales et gouvernementales avaient déjà décidé d’expulser les exilé-e-s des campements situés dans la ville et ses approches immédiates, pour les concentrer sur le terrain actuel, de l’autre côté de la rocade de contournement. Cette médiatisation du « ras-le-bol des Calaisien-ne-s » arrive à point nommé pour légitimer la séparation des populations.
Au quotidien, un nombre croissant de bars, et dans une moindre mesure de commerces, refusent l’entrée ou refusent de servir les personnes identifiées comme « migrants », voire « no-border » ou « pro-migrants ». Le discours médiatique, au moins localement, fonctionne de plus en plus en « pro » et « anti ».
Le 24 janvier 2016, des acteurs économiques du Calaisis organisent une manifestation de promotion de la ville, avec pour slogan « mon port est beau, ma ville est belle ». Les organisateurs parlent peu des exilé-e-s, et surtout pour dire qu’il faut mettre en place des conditions dignes pour en finir avec cette image de misère accolée à la ville et passer à autre chose. La veille à lieu une manifestation de soutien aux exilé-e-s, à la fin de laquelle certain-e-s entrent dans le port et montent sur en ferry. La maire de Calais rafle la vedette à la manifestation du 24 avec un discours violemment xénophobe, le ministre de l’intérieur en rajoute dans le spectaculaire à propos de la manifestation du 23, la presse oppose les deux actions en « pro » et « anti-migrants ». Ce qui est retraduit, la manifestation du 23 ayant eu lieu à l’initiative de collectifs parisiens, en une opposition entre « les Calaisiens » et « les gens d’ailleurs », « migrants », Parisiens » et « activistes étrangers ».
Le travail fait au niveau des acteurs économiques s’est continué, rendant inaudible toute parole plus nuancée, et débouchant le blocage de l’autoroute annoncé pour le 5 septembre, unissant des organisations de transporteurs routiers, la CGT des dockers, la FDSEA (Fédération Départementale des Syndicats d’Exploitants Agricoles), des commerçants et d’autres, pour exiger la destruction du bidonville de Calais. Ce qui a provoqué la descente éclair du ministre de l’intérieur venu pour ne rien annoncer, mais légitimant par sa venue et donnant un écho national au mouvement.
Super, mais lorsque vous parlez des »pages facebook comme Calaisiens en colère ou Calais libre »; il serait bien de faire la différence entre « Calais-Libre » qui est en effet nauséabond et « Calais libre » qui a été crée pour contrer cette dernière. Merci
Oui, il y a effectivement ces pages d’extrême-droite qui ont été fermée, puis rouverte sous le même nom mais par d’autres personnes avec une opinion inversé ‘on pourrait dire libérées ?) C’est juste un peu long à raconter dans un article qui traite d’autre chose.
Je lis votre blog, souvent, je suis venue (une toute petite semaine) à Calais faire du bénévolat et j’aimerais vous parler de ce qu’il se passe ici si vous souhaitez le partager…..
Je vis à Besancon dans le Doubs, 3 familles de réfugiés ont été expulsées depuis le mois de juillet, les enfants ayant été scolarisés, les familles ayant lié des liens avec d’autres familles bisontines … La famille Feraj a été expulsée cette semaine ,enfin, le pére et les trois enfants car la maman ayant été hospitalisée au moment de l’arrestation .La fille ainée a relaté son vécu par courrier. La maman est toujours en France sans ses affaires, ses habits, sans rien , le père et les enfants sont au kosovo. ….. je ne peux pas vous donner les détails ici mais sachez que nombre de personnes sont scandalisées, peinées, révoltées par ce qu’il se passe et souhaitent le dénoncer haut et fort car en plus tout celà se fait sans bruit. …je fais partie de ces personnes révoltées, je voudrais partager la lettre de cette gamine de 15 ans avec tous , avec vous ….. nous préparons une mobilisation pour l’arrêt des expulsions: 80 familles dans le Doubs sont susceptibles d’être expulsées dans les semaines à venir.
Merci de lire la lettre de Genita dont nous espérons le retour.
Je suis joignable sur ma boite mail pour contacts, renseignement, liens
Leslie
Propos de Genita Feraj (15 ans) :
C’était le 29 août à sept heures du matin. J’ai entendu la police qui est arrivée dans nos chambre en toquant sur la porte. J’ai mis mon pyjama et je voulais sauter par la fenêtre. Mais j’entendais ma sœur et mon frère crier et j’ai pas pu sauter, j’avais peur de les laisser seuls, et peur de sauter car c’était haut et j’ai vu la police rentrer dans la chambre et ils m’ont pris et ne m’ont plus lâchée. Ils étaient je crois dix dans la chambre, je me sentais pas comme un être humain comme les autres, d’avoir dix policiers autour de nous c’était incroyable. Je me sentais très mal parce que je n’arrivais pas à m’imaginer où je vais partir ? Comment ça va se passer ? Mes frères ? Mon père ? Y aura quoi après tout ça ? Les policiers ont commencé à nous expliquer comment ça va se passer. J’ai déjà vécu un moment pareil en Autriche et je savais comment gérer les choses.
Je suis rentrée dans la chambre où mes parents et mon frère dormaient, je cherchais ma mère mais je ne la voyais pas. J’ai ouvert la porte des toilettes, elle était en train de trembler quant je suis rentrée, elle avait son portable dans les mains et a voulu appeler quelqu’un pour qu’ils nous aident. J’ai pris son portable et j’ai appelé Chantal[1]. Je lui ai dit : « Chantal y a la police qui est venue nous chercher. » Elle m’a dit : « Tiens moi au courant de tout ce qui se passe. »
[1] Chantal est une militante du CDDLE
J’ai commencer à faire les valises , et j’ai entendu mon père crier » O zot i madh » qui veut dire en français » oh mon Dieu ». Je suis partie voir ce qu’il se passait et j’ai vu ma mère par terre, j’ai commencé à crier et à pleurer et j’ai demandé aux policiers si quelqu’un pouvait appeler un médecin. Au début ils ont refusé d’appeler l’ambulance car, disaient ils, nous pourrons le faire au commissariat. J’ai commencé à crier et à dire que non, je veux absolument quelqu’un pour ma mère. Ils ont discuté ensemble et au final ils les ont appelés. J’étais sur ma mère et je lui ai fait un bisous sur la joue et je lui ai dit « garde la confiance en Dieu ! ».
J’avais toujours un policier qui me suivait, ils ne me laissaient pas toute seule. J’ai préparée nos valises et toutes les chose qu’il y avait. […] J’avais un sac avec des parfums, des déodorants, du maquillage ( tout ce qui concerne les soins du corps) et y avait des rasoirs que mon père utilisait. Ils me les ont pris et mis sur le mur. D’après eux on avait beaucoup de valises, et ils nous ont dit que peut-être on ne va pas tout prendre. J’ai commencé à parler, j’ai dis : « je peux pas laisser tout ça ici y a pleins de vêtements qu’on aura besoin ». Ils ont discuté ensemble et ils ont dit : « on verra ».
J’ai vu l’ambulance arriver dans la chambre, mais ils ne nous ont pas laissés rester avec ma mère. Je ne sais pas à quelle heure elle est partie ? Avec qui ? Si elle avait des habits ? Rien du tout. Je m’inquiétais beaucoup, j’arrivais pas à me contrôler moi-même, j’avais pas la force, pas de courage rien du tout.
On s’est préparés et nous sommes partis vers 7h50 de Saint-Jaques direction le commissariat. Nous sommes arrivés là-bas, j’ai envoyé un message à Chantal, Gwenaëlle, Virginie, Mme breton , Mme Dardelin et Sandra. Vers 9h Laurent, Sylvain, Mme Breton, Mme Dardelin et Chantal sont venus nous voir au commissariat. La police nous a rien donner à manger à part un biscuit et une brique de jus. Mme Dardelin et Mme Breton après nous avoir vu, elles sont parties nous acheter des trucs à manger. On savait rien du tout de notre mère, à chaque fois que je demandais si quelqu’un avait des nouvelles d’elle mais tout le monde me disait non. Vers 12h la chef de la police est arrivée au commissariat et nous a dit que ma mère a fait des examens mais les résultats on ne les aura pas avant 16 heures. Entre 12h et 16h, j’ai reçu plein d’appels de tout le monde. Je n’avais pas dit à mes amis ce qui m’était arrivé, mais tout le monde l’a su après.
Genita et sa petite soeur.
Nous sommes restés pendant neufs heures au commissariat entre 8h du matin et 16h48. On n’en pouvait plus de rester dedans, on avait besoin de prendre l’air, mais personne ne nous a laissés sortir, sauf mon père quand il allait fumer. À ce moment, une fois, j’ai pu sortir prendre de l’air, car je suis partie traduire à mon père et je les ai suppliés de rester juste deux minutes. Ils m’ont laissée. Vers 16h45, la chef était dehors en train de parler avec quelqu’un et elle est rentrée dans le commissariat et nous a dit « allez, on y va ». Quand elle a dit ça, mon cœur n’arrêtait pas de battre, je suis devenue toute jaune du visage, ma sœur pareil. Elle m’a arrêtée sur le chemin en allant chercher la voiture et m’a dit : « à ton avis, on aura une chance au moins dans notre vie ? » [Leonita, 6 ans]. Quant elle m’a dit ça, ça m’a touchée et j’ai commencé à pleurer. Mon père nous a regardées et nous a dit : « allez mes cœurs vous êtes avec moi ».
Nous sommes montés dans la voiture, on a attachés nos ceinture, la chef a commencée à parler et nous a dit : « Tout le monde parle français ici ? ». Moi, ma sœur et mon frère on a dit oui, seul mon père a dit non. La chef m’a dit « toi la grande peux-tu faire la traduction pour ton père ? ». J’ai dit : « oui ». Elle a dit : le préfet nous a dit que votre mère est hospitalisée aujourd’hui elle vas bien mais vous, vous allez partir dans un centre de rétention à Oiselle et demain vous prenez l’avion. » Quand elle m’a dit ça, j’étais choquée je me suis dis comment ça ? Seuls ? Sans notre mère ? Au Kosovo ? J’avais plein de questions dans ma tête et j’étais incapable de trouver la réponse à une. On a mis six heures pour partir à Oiselle, pendant tout ce chemin encore tout le monde m’a appelée et m’a dit qu’y a eu une manifestation devant la préfecture et qu’il y avait plus d’une centaine de personnes avec nous. Ça nous a fait grave plaisir d’entendre que y a des gens qui nous soutiennent et que en même temps ça nous fais pleurer. Je me sentais pas toute seule, je me disais peut-être que tout le monde est contre nous mais au moins y a des gens qui sont avec nous.
Dans le bus on n’a pas eu de problèmes ou quoi que ce soit, juste qu’on était tristes et on pleurait. Pour mon petit frère [9 ans] c’était très dur sans ma mère, il a pleuré pendant toute la route, ça me faisait mal au cœur de voir mon frère pleurer car je le comprenais, c’est dur sans une mère.
Vers 00h30 nous sommes arrivés dans le centre de rétention, on est descendus de la voiture et entrés dans un bureau où y avait deux policiers , ils ont pris mon père et l’ont mis dans un autre endroit pour vérifier si il avait quelque chose. Une policière est venue nous chercher pour nous montrer les chambres où nous allions dormir quelques heures. Dedans j’avais pas le droit de rentrer avec un portable qui avait une caméra. [on se demande bien pourquoi… NDLR] Sur le portable que mon père avait ils ont cassé la caméra, moi j’ai refusé, j’ai dis non, je le laisse dans le couloir et il se recharge.
Vers 2h j’arrivais même pas à dormir, j’avais une boule dans mon ventre. Je me suis endormie après. J’ai dormi juste deux heures, vers 4h30 je me suis réveillée, et je ne savais pas quoi faire. Dans le centre de rétention, y avait une association qui s’appelle France Terre D’Asile, je voulais aller les voir mais personne ne travaillait à cette heure. Vers 6h j’ai appelée Chantal, j’ai parlé avec elle, je lui ai tout expliqué. À 7h les policiers sont venus nous chercher et nous ont demandé ça fait combien de temps qu’on était en France et si on sait parler français. On a répondu ça fais 3 ans et quelque mois, et oui on sait parler français. Y a un policier qui nous a dit « Waouh bravo pour 3 ans ! »
On a pris nos draps et les couvertures et on les a mis dans une salle. A 7h14 on a pris un petit bus pour partir à Rouen où y avait l’avion. Tout de suite quand nous sommes montés dans la voiture, tout le monde a commencé à pleurer, moi, mon père, ma sœur et mon petit frère. Le petit comprenait pas ce qui se passait. Mon père a pété un câble dans la voiture, il n’en pouvait plus, il avait très mal à la tête, mais la police s’en fichait. On a beaucoup pleuré et crié et tout fait, mais il s’en fichait. L’avion était arrivé, j’arrêtais pas de crier et de pleurer, la police m’a fait sortir de la voiture et m’a demandé comment je m’appelle et quel âge j’ai ? J’ai répondu [..] J’ai commencé à parler avec eux et ils m’ont dit : si tu arrêtes pas de pleurer on va t’attacher les mains. Et c’est là que ma tête a explosé ! J’ai dit « Mais comment ça ? Vous êtes sérieux là ? je veux pas monter vous pouvez pas me forcer, personne ne montera dans cet avion » et j’ai vu mon père il était en face de moi, ils lui ont accroché les mains sous les genoux avec les pieds. Je ne pouvais plus rien faire, j’avais pas de pouvoir pour protéger ma famille, ce que je pouvais faire c’était juste crier et pleurer… Mais personne comprenait…Ils s’en fichaient. C’est la première fois que la police m’attache comme si j’avais tué quelqu’un ou fait je ne sais pas quoi, j’ai fais tout ça juste pour protéger ma famille et avoir droit de rêver à mon avenir, à celui de mes frères et sœur mais malheureusement je peux rien faire.
On est montés dans l’avion à 8h et à 12h on est descendus en Corse, pour pouvoir partir au toilettes et parler au téléphone. On est restés environ 20 min. et on est remontés dans l’avion. Dans l’avion on était très mal, j’avais mal à la tête et j’ai demandé à la police un Doliprane mais elle m’en a pas donné ! On est arrivé à Prishtina à 15h. J’avais l’impression que la police se moque de nous, ils disait « ouais y a 450€ et des valises ici. Je ne sais pas pourquoi il disait ça ? On était dans un grand bus avec la police et ils nous ont laissés avec la police du Kosovo, ont pris nos valises et on est sortis dehors. Dehors, y avait mes deux oncles et ma grand-mère (le frère qu’a ma mère et le cousin de ma mère) et un ami de mon père qui vit au Kosovo. Moi, ma sœur et mon petit frère, on est partis chez les parents à ma mère, mon père et mon petit frère sont restés à Prishtina chez l’ami à mon père…
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