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La destruction du bidonville va durer un certain temps. Jour après jour. La violence la plus visible, comme lundi ou mardi matin semble s’estomper, même si la situation reste extrêmement tendue. Reste la violence la plus profonde, ces personnes dont on détruit les seules habitations qu’elles ont, avec souvent leurs seuls biens à l’intérieur. La répétition de ce qui se passe à Calais depuis la fermeture du Centre de Sangatte en 2002, mais à une toute autre échelle. C’est une petite ville, de 6000 à 8000 habitants qui va être rayée de la carte. C’est hors de tout contexte de guerre – ou sommes-nous en guerre contre les exilé-e-s ? – toute une population civile dont les autorités rasent les habitations.

C’est pour protester contre cette violence que huit exilés iraniens se sont cousu la bouche et entament une grève de la faim.

http://www.humanite.fr/calais-et-maintenant-allez-vous-nous-entendre-600899

« J’ai quitté mon pays et je suis venu ici pour trouver mes droits humains, mais malheureusement je n’en ai trouvé AUCUN »

« Où est votre démocratie ? Où est votre LIBERTÉ ? »

disent leurs pancartes.

 

Reprenons le récit de l’association Polyvalence pour la fin de la journée d’hier, la nuit et la journée d’aujourd’hui.

https://www.facebook.com/assopolyvalence

Mardi 1er mars :

« Calais Jungle en direct :

16h40 :

Les CRS ont quitté la Jungle.

Il n’y a plus de présence policière dans la jungle. Les CRS restent aux abords.

17h30 :

Hier, c’est l’extrême sud de la zone sud qui a été démantelé, une zone habitée principalement par des hommes, sans familles.

Quand les cabanes ont été détruites, ils ont pu réagir, c’est-à-dire brûler les cabanes à leur tour pour manifester leur colère.

Aujourd’hui, les CRS et les équipes de démantèlement ont continué de faire tomber des cabanes et de nettoyer la zone.

La partie rasée représente environ 10% de la surface totale de la zone sud.

Hier, une centaine de migrants étaient donc sans-abris (45 ont été envoyés dans les CAO). Nous n’avons pas le chiffre pour aujourd’hui.

Certains ont essayé de passer en Angleterre ; il y a eu plusieurs tentatives de passage hier, il y en aura sûrement ce soir. Ils sont en petits groupes dans les environs, se débrouillant comme ils peuvent parce qu’ils n’ont plus rien.

La suite logique au démantèlement concerne les caravanes où vivent les familles, qui ont peur de cet avancement, ne pouvant pas se rebeller à cause de la présence de leurs enfants.

L’Auberge des Migrants a aplani une étendue dans la zone nord et les familles sont en train d’y bouger.

Hier, un enfant (âge inconnu pour le moment) a été évacué d’une cabane. Ses parents sont à l’hôpital (MSF s’occupe de faire les feuilles de soin et réoriente les malades à l’hôpital de Calais.) Il a été sorti par les CRS puis récupéré par une prof qui lui a dit de mettre ses affaires dans l’école. L’enfant a fini par partir, la cabane n’est pas détruite, mais l’enfant est introuvable.

Calais Jungle, résumé de la nuit du 1er au 2 mars 2016 :

Nous avons quitté la Jungle hier soir vers 19h après avoir bu un thé dans une petite pièce de l’école où nous interviewions son directeur pour notre deuxième documentaire dont vous aurez les images prochainement.

En partant, nous n’avons pas vu les nombreux camions de CRS qui stationnent habituellement vers le pont, il n’y en avait que deux, installés de manière à barrer la route. Et à 500 mètres sur la gauche, en embuscade, prêts à intervenir… une vingtaine.
Nous avons donc jugé bon de revenir dans la Jungle le soir même.
Nous avons mangé en ville et sommes retourné dans le camp à 20h30.

Nous avons rejoint quelques membres de l’Appel de Calais au Legal Center, dont le panneau, redécoré par les migrants, affiche « Illegal Center ».

L’Appel de Calais est composé de juristes : leur travail consiste à gérer l’administratif et juridique, aider les migrants à faire leurs papiers ou leurs demandes (et obtenir le statut de réfugié ou demandeur d’asile). Les gens sont reçus dans ce Legal Center, présentent leur situation, leur histoire, leur but, etc. et sont aidés dans leurs démarches.

Le Legal Center se trouve dans la zone sud, la partie du camp qui est en phase de démantèlement « non-violent » comme vous avez pu le constater… à côté du théâtre et des autres « lieux de vie » que nous avons présentés dans notre premier documentaire : https://www.facebook.com/assopolyvalence/posts/970285306358263

L’extrême sud de la zone a été démantelée. La zone du Legal Center, un peu plus haut, qui est aussi la zone des caravanes (et des familles) reste debout pour le moment et n’est, à priori, pas menacée. Mais si la destruction de la Jungle progresse, c’est par là qu’elle avancera (voir explication sur la zone aplanie : https://www.facebook.com/assopolyvalence/posts/972322576154536).

Ce soir, le centre a servi de lieu de rassemblement festif : des hommes afghans, syriens, des hommes d’Afrique sub-saharienne, quelques personnes de l’Appel de Calais et nous-même, accompagnés à la guitare, avons chanté des chansons en farsi, en patou, en arabe… Nous avons bu de la bière, du vin et mangé des chips achetés dans les épiceries de la Jungle, ouvertes en permanence. On y trouve tout : cigarettes, même vendues à l’unité, savon, chaussures, câbles pour les téléphones…

Nous avons parlé des réfugiés, de la France, du gouvernement. Certaines conversations étaient incompréhensibles pour ceux qui ne parlaient pas toutes les langues. Nous avons utilisé le langage corporel. Nous avons parlé des problèmes de relogement, du travail des associations et des besoins : les vêtements sont inutiles pour le moment, il y en a partout dans la boue. Ce qu’il faut organiser, ce sont des activités pour les jeunes.

À ce moment-là, nous sommes sortis du Legal Center pour aider à éteindre une caravane en feu. Des migrants, des britanniques et nous, essayant de retirer les bouts de tissu enflammés. Qui a fait ça ? Nous avons voulu filmer mais les migrants ont préféré mettre leur main sur l’objectif. On ne sait pas, on ne sait pas… Apparemment, ce sont les jeunes. C’est fréquent. Ils s’ennuient. Ils font tout le temps la même chose : une partie de cricket, du babyfoot, du théâtre… Ils sont en demande d’activité, ils veulent aller en ville, à la piscine, mais ils n’ont le droit à rien, parce qu’ils n’ont pas de papiers.

Alors voilà les besoins : trouver un moyen de proposer des activités aux jeunes.

Nous avons une cagnotte. Et puisque les dons de vêtements ne sont plus utiles…

Puisque la Jungle est en plein démantèlement…

Puisque nous ne pouvons pas aller à Grande-Synthe aujourd’hui parce que nous devons nous rendre à la réunion de la Plate Forme de Service au Migrants avec les autres associations…

Mais comment faire, quand toute construction, quand tout projet est menacé de destruction ?

En attendant la réponse, voici la cagnotte : https://www.lepotcommun.fr/pot/52mb8mi1 »

Mercredi 2 mars :

« 12:30 :

Nous avons reçu une information au sujet de l’enfant (voir ici : https://www.facebook.com/assopolyvalence/posts/972322576154536).

« Bonjour, l’enfant dont la famille était à l’hôpital n’est pas introuvable : sa famille est revenue de l’hôpital lundi soir, je les ai croisés hier soir. Ils vont aller dans la zone Nord.

L’école adultes est ouverte, la classe enfants était fermée (« zone à risques » lundi selon les CRS, qui ont empêché l’enseignante d’y mettre à l’abri les enfants pendant le gazage.) Les enfants ont peur des CRS, aimeraient venir à l’école, mais sont en déménagement sur la zone Nord.

Les adultes craignent de venir à l’école et qu’on détruise leur abri. C’est arrivé à une personne hier: il était parti prendre un petit-déjeuner tôt le matin, quand il est revenu, sa cabane avait été détruite. »

13h30 :

Nous déjeunons au café Hamid Karzal, en zone afghane.

On peut y manger des naan aux épinards, de la salade, des tomates, des galettes de céréale et de la sauce pimentée, des cuisses de poulet, du riz. Il y a du thé et du café.
Aujourd’hui, nos deux naan et deux thés ont coûté 15e. Le thé est à 50 centimes. Le naan est donc à 7e. Mais le premier jour, il nous a coûté moins cher. Peut-être que c’est à la tête du client, selon les jours, selon l’humeur.

Les restaurants / salons de thé vont s’approvisionner au Lidl, en ville. Il y a du commerce dans la Jungle, l’argent circule, il y a des salons de coiffure, des superettes. C’est dans les épiceries que l’on peut acheter des cigarettes, pas dans les cafés. Elles sont vendues à l’unité ou par (vrais) paquets, des Marlboros à 7e. Il y a aussi des tubes vides emplis de tabac, vendu par 5 ou 10 et mis dans du papier aluminium. C’est moins cher que les vrais paquets.

14h30 :

Des volontaires viennent nous chercher en courant : venez, il y a des soudanais qui se sont scellé la bouche, il faut filmer ! Nous partons en courant, il n’y a pas de soudanais mais un drapeau qui flotte au dessus d’une cabane en feu. Nous sommes en zone Kurde. Nous apprenons que des iraniens cherchent des aiguilles propres pour se coudre la bouche : ils entament une grève de la faim.

15h20 :

Nous avons des problèmes avec nos téléphones, il y a eu une tempête de grêlons qui les a abimés.

Au sujet des 5 personnes embarquées lundi et mardi : elles sont en garde à vue à la Police aux Frontières (PAF).

La Police accuse trois No Border. No Border dément. Il s’agit de :

– deux iraniens ont été arrêtés et placés en garde à vue parce qu’ils étaient monté sur le toit de leur cabane pour la protéger hier matin (mardi). Leur garde à vue prend fin ce soir et ils passent en comparution immédiate demain.

– un anglais, bénévole à l’Auberge des Migrants. Il risque d’être expulsé en Angleterre. (Pourquoi ?)

– une allemande, bénévole à l’Auberge des Migrants. Elle est accusé de détérioration de matériel et début d’incendie.

– une troisième personne (pas plus d’informations) qui est avec un avocat de Care 4 Calais. »

 

Destruction bidonville 2016-03-02Photo Polyvalence.