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bidonville, Calais, campements, droits, Exilés, expulsions, hébergement
Après un détour sa décision du 24 septembre 2014 qui portait sur des contrôles policiers à l’accès d’un lieu d’activité des associations humanitaires, revenons au rapport du 6 octobre 2015, qui aborde de manière large la question des droits des exilé-e-s dans le Calaisis.
Vous pouvez télécharger le rapport du Défenseur des Droits sur Calais ici.
Vous pouvez télécharger les recommandations extraites du rapport ici.
Le rapport est en deux parties. La première titrée « Des atteintes aux droits fondamentaux liées à la crainte d’offrir des conditions de vie trop attractives » énumère une série de droits bafoués au nom de la lutte contre l’appel d’air, et trace des pistes pour en venir à une situation respectueuse de ces droits. La seconde, « Des atteintes aux droits fondamentaux favorisées par une politique de fermeture étanche de la frontière », porte sur le dispositif sécuritaire et les violences policières.
En tête de la première partie : le droit à l’hébergement, qui plus est à la une de l’actualité avec le projet des autorités de détruire le bidonville de Calais, sans proposer de solution adaptée et suffisante en nombre à ses habitant-e-s.
Le Défenseur des Droits aborde quatre points, dont deux portent sur les mesures, alors en projet et depuis mises en œuvre, du gouvernement.
De par la précarité des conditions de vie dans le bidonville, tous ses occupants doivent être considérés comme relevant du droit inconditionnel à l’hébergement d’urgence, que le Conseil d’État a consacré comme une liberté fondamentale. Pour mettre en œuvre ce droit, l’échelle des besoins et du nombre de personnes présentes, et mettre en place les structures prévues par le droit commun, l’État doit faire l’inventaire des ressources foncières, bâtiments ou terrains vacants, existant dans le Calaisis.
On peut ajouter à ces conclusions que les bâtiments et terrains vacants sont nombreux dans le Calaisis, et que les ressources ne manquent donc pas.
Il rappelle également le droit aux conditions matérielles d’accueil, dont l’hébergement, des demandeurs d’asile, droit établi par la législation européenne et traduit en droit français. Depuis la publication du rapport en octobre, si la situation des demandeurs d’asile s’est améliorée, c’est par l’artifice d’un dispositif transitoire, hors du droit commun, les « centres de répit » ou centres d’accueil et d’orientation, qui devaient s’adresser en principe à des personnes s’interrogeant sur leur parcours migratoire. Avec les ambiguïtés de ce dispositif (voir ici, ici, ici, ici, ici et là). La position du Défenseur des Droits est que les demandeur-se-s d’asile doivent accéder au dispositif d’accueil prévu par loi.
Concernant le projet du gouvernement de créer un camp de 1500 places, devenu réalité (voir ici et là), le rapport souligne le sous-dimensionnement du dispositif, et met en garde contre la logique de tri qu’il induit, en contradiction avec le principe d’accueil inconditionnel. Il insiste par ailleurs sur le dispositif sécuritaire induit par la concentration d’un nombre important de personnes, et préconise la création de lieux d’accueil plus petits et dispersés dans l’agglomération.
Concernant ce qui était alors le projet de lieux d’accueil éloignés de Calais, les actuels « centres de répit », préconisés par le rapport Aribaud – Vignon commandé par le ministère de l’intérieur : « Il doit toutefois être rappelé que ces centres, destinés, dans l’esprit des auteurs du rapport, à se multiplier sur le territoire, ne sauraient se substituer aux centres d’hébergement d’urgence (dont l’accueil est inconditionnel et ne pourrait être subordonné à la réflexion sur une demande d’asile) et ne sauraient encore moins remplacer les CADA, lesquels fournissent certaines prestations liées à l’insertion sociale. » En clair, ce dispositif d’exception ne peut pas remplacer les dispositifs de droit commun, et ne dispense pas l’État de mettre en place les structures nécessaires.
Dans le bidonville de Calais : l’échoppe d’un coiffeur. Dessin Loup Blaster http://loupblaster.tumblr.com
Edouard Pons a dit:
Il y a exactement 77 ans aujourd’hui un exilé mourait à Collioure.
Il avait nom Antonio Machado. L’un des plus grands poètes espagnols, républicain dans l’âme, avait passé la frontière le 28 janvier 1939, deux jours après la chute de Barcelone, devant l’avance des troupes de Franco et de l’aviation de l’Allemagne nazie. Malade, épuisé, le désespoir au cœur il avait tenu à rester jusqu’au bout avec les dizaines de milliers de ses compatriotes qui formaient en ces jours sombres une immense colonne sur les routes de l’exil. Ils fuyaient les bombardements aveugles, les exactions, la barbarie des vainqueurs.
Antonio Machado était accompagné de sa mère, de 88 ans, son frère José et sa compagne.
Les habitants de Collioure firent preuve à leur égard d’une formidable solidarité et générosité. La patronne de la pension de famille Bougnol-Quintana les logea sans rien demander en échange et les soigna du mieux qu’elle put. Machado savait ses jours comptés. « Quand il n’y a plus d’avenir, qu’il n’y a plus d’espoir à l’horizon, c’est la mort qui arrive », confiait-il à son frère José. Selon ce dernier les derniers mots du poète furent « Merci Madame », à l’adresse de Mme Quintana, et « Adieu, mère ». Sa mère, alitée non loin de lui, mourra trois jours après.
Tout Collioure, son maire en tête, assista à son enterrement.
Au même moment, ceux qui avaient été les premiers à se soulever contre le fascisme, avant d’être contraints à l’exil, sont 275.000 à être internés dans les « camps de concentration », « camps d’internement », « camps spéciaux », « centres de regroupement », « camps de triage », selon les diverses appellations officielles, à Argelès, Le Barcarès, Agde, Le Vernet, Sète, Lodève, Clermont-l’Hérault, Montpellier Béziers, Pézenas, parmi d’autres lieux. José Machado s’insurgera dans le carnet qu’il tient contre le «harcèlement des gendarmes » français qui, obéissant aux instructions officielles, conduisent les réfugiés vers les camps « en séparant les fils de leurs pères et les femmes de leurs maris… de la façon la plus barbare et brutale qui soit ». « Une véritable honte pour le genre humain », note-t-il.
Quelques mois plus tard, ceux qui faisaient partie des « étrangers indésirables », visés par les décrets-lois des 12 novembre 1938 et 18 novembre 1939 ordonnant leur internement, seront nombreux à rejoindre la Résistance. Certains, faits prisonniers par la Wehrmacht ou livrés par la police de Vichy, seront déportés vers le camp de Mauthausen. Déchus de leur nationalité par le régime de Franco ils portent le triangle bleu des apatrides.
Le 24 août 1944 la 9ème compagnie de la Division Leclerc fut la première à entrer dans Paris pour soutenir l’insurrection lors de la libération de la capitale. « La Nueve », comme on l’appelait, était composé de 160 hommes dont 146 républicains espagnols. C’est la section du lieutenant Amado Granell qui parvient la première à l’Hôtel de ville. « La Nueve » occupe la Chambre des députés, l’hôtel Majestic, siège de la Gestapo, et la place de la Concorde. Le lendemain, le général Von Choltitz est fait prisonnier par trois Espagnols. Le 26 août les Espagnols font partie de l’escorte du général de Gaulle lors du défilé de la victoire.
Depuis, des centaines de milliers de leurs compatriotes ont contribué à la reconstruction, à la prospérité, à la culture de la France.
Honneur et reconnaissance à ces « indésirables » d’hier.
Respect et solidarité pour les « indésirables » d’aujourd’hui.
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